NON: Les Etudiants en Santé ne sont pas "frileux"!!!( Et sinon ils mettent un pull...)Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai pu entendre cette absurdité: "les étudiants en santé ne se mobilisent pas... ils n'ont pas conscience des enjeux politiques de leurs études... ça ne les intéresse pas... ils sont égoïstes... ils sont découragés...ils sont bourrés..." enfin bref, vous voyez l'idée.
Ce qui est plus triste, c'est que j'ai pu entendre cette phrase dans la bouche de ceux là même dont la tache est d'assister les étudiants dans leur mobilisation, c'est à dire les élus locaux et syndicalistes nationaux.
Et bien je vous dis, moi, que c'est un mensonge. Un mensonge qui ne sert qu'à couvrir l'incompétence naïve, dans la plupart des cas, ou la coupable complicité, dans certains cas, de ceux qui ne veulent pas voir que les étudiants en Santé sont éminemment forts ET insatisfaits.
Insatisfaits tant de leurs études que du Système de Santé qu'on leur prépare et auquel on ne les prépare pas. Cette insatisfaction les mènera, en certains endroits et sur certains enjeux, jusqu'à la révolte.
Mais pour oser regarder en face la force et l'envie d'engagement de ces étudiants, il faut avoir la sagesse et le courage de renouer avec cette notion centrale d'une démocratie:
le conflit.Assumons que les étudiants ont des intérêts qui leurs sont propres et que les administrateurs de nos facultés et de nos structures de soin ont aussi leurs propres intérêts.
Assumons qu'en de nombreuses occasions ces intérêts peuvent diverger, et que, dans ce cas, il nous faut nous mobiliser pour défendre nos droits et notre droit d'avoir des droits.
Enfin, pour ne pas plier et céder à la domination, même subtile et camouflée, nous devons nous organiser et équilibrer le rapport de force afin de permettre une saine négociation.
Mais qu'est-ce qui me permet, à moi, de vous dire que les étudiants en santé ne sont pas frileux mais sont au contraire impatients de s'engager et de mener leurs combats avec fougue?Je m'appelle Alexandre Bonnabel, j'ai été quelques années étudiants en Médecine à la faculté de Grenoble, puis j'ai été quelques années étudiants en Master de Sociologie dans une autre faculté de Grenoble (une autre planète!). Mais j'ai surtout passé ces années d'étude à m'engager dans des associations, d'abord étudiantes, consacrées à la solidarité locale et internationale. J'ai finalement fait de cet engagement un métier et de l'animation de mobilisations étudiantes une spécialité.
Il se trouve que cette année universitaire 2011/2012, j'ai pris la route, en mission pour le réseau MEDSI, pour faire un Tour de France. Je n'ai plus de domicile, je passe ma vie chez les militants de nos associations d'étudiants en santé, deux semaines par ville, et je leur propose animations et formations. Et le reste de mon temps je fraye avec les milieux décroissants, désobéissants, anarchistes, syndicalistes... vous voyez le genre... Je suis déjà passé à ce jour par Brest, Nice, Marseille, Grenoble, Lyon, Besançon, Paris, Angers, Nantes, Limoges et Poitiers.
Pour revenir à mon propos, partout où je suis passé, (partout!) j'ai rencontré des étudiants, essentiellement en médecine, plein de rancoeur et de plainte. J'en ai rencontré qui dénonçaient leurs conditions de travail, faisant parfois état de situations de harcèlement, et d'autre qui fustigeaient la misère pédagogique des enseignements qu'on leur impose. Chose plus surprenante, j'ai trouvé chez la plupart de mes interlocuteurs une conscience aiguë de l'état de crise du système de santé, et un travail d'analyse et de réflexion très intense sur les moyens d'y remédier; à commencer par la réinvention de leurs études.
Et ces étudiants se mobilisent!Très concrètement, j'ai pu participer à la création de sept collectifs et aux soutien d'une foule d'initiatives individuelles. Ces collectifs sont de formes diverses: tous manifestent leur envie de pluridisciplinarité ("collectif soignants/futur soignants") et s'investissent parfois intensément dans la conquête de cette dernière. Certains s'orientent sur la mise en place de systèmes de co-formation ou d'auto-formation en dehors de leur cursus, se reposant sur des mécaniques pédagogiques tirées de l'éducation populaire et de la démocratisation scientifique ("collectif de co-formation", université populaire). D'autre s'aventurent du coté de la contestation, de la revendication et de la défense du travailleur individuel ("syndicat de travailleurs étudiants le soin", soutien d'une revue satirique sur l'administration de la fac). La plupart se centrent sur un système de groupes de parole et/ou d'échange de pratiques réguliers, animés par les étudiants eux mêmes, formés à l'école de l'éducation populaire associative (Chers confrères! ).
Et ces collectifs ne font que commencer!A cela, ajoutons les individus qui, seuls, se mobilisent à leur échelle pour créer ou contester. Et l'ensemble des étudiants qui, chacun à sa manière, Résistent à un système bien souvent absurde.
A cela ajoutons les collectifs étudiants déjà existants qui ont précédés cette nouvelle vague, certains depuis plusieurs années.
A cela ajoutons les associations étudiantes militantes dans la solidarité.
A cela ajoutons les quelques élus qui essayent de faire leur boulot et d'être du coté des travailleurs plutôt que d'accompagner les dirigeants...
Alors, vous qui me dites que les Etudiants en Santé sont "frileux"; cherchez ceux qui bougent et vous les trouverez!… ou débusquez la lâcheté en vous même et demandez vous pourquoi ça vous arrange bien de croire à ce mensonge défaitiste.
Bien sur, tout n'est pas rose. Et il me faut souligner un fait qui est inquiétant.
Lorsque l'on parle mobilisation, il n'est pas rare du tout de faire face à de la Peur de la part des étudiants. Peur pour leur carrière, peur pour leurs notes, peur pour leurs stages (les choses ont bien changé en trente ans!). Cette peur, si elle est pour une grande part fantasmée (mais qui a répandu ce fantasme?) n'est pas infondée. Et c'est avec horreur, indignation, parfois rage, que j'ai été le témoins plus ou moins direct de comportements de censure et d'intimidation à l'encontre des étudiants, comportements d'administrateurs, ou même d'autres étudiants, que je ne peux que qualifier de totalitaire ou petit mafieux.
Il va nous falloir être bon et sérieusement nous défendre... et pourquoi pas devant des tribunaux...
Et revoir notre rapport à nos "représentants", à notre liberté d'entreprendre ensemble en petits groupes, et à notre droit d'interpeller nos camarades étudiants plus silencieux et de solliciter leur soutien et leur solidarité dans nos luttes
Alexandre Bonnabel